Plus-value culturelle en péril, par Thierry-Marie Delaunois
Par
Delaunois Thierry-Marie
Le 19/10/2014
Dans Partage II
"...ils répondent plutôt à une logique commerciale et orientent vers des ouvrages plus fructueux à vendre...préférant une pratique de l'opacité...la visibilité est nulle..." lit-on dans un sérieux magazine littéraire au sujet d'une significative plateforme de vente en ligne d'ouvrages littéraires et autres produits de tout acabit. Faut-il s'en étonner? Avant tout la rentabilité, le profit, faire du chiffre, sinon c'est le Titanic assuré. Vraiment? Ne serait-ce pas qu'une (simple?) question de gestion pour parvenir à rendre le site de vente attractif et faire ressortir le meilleur du "meilleur", c'est-à-dire la qualité? Qualité de style et de fond des ouvrages proposés en vitrine?
Les partenaires de la "chaîne du livre", éditeurs, libraires, critiques, bibliothécaires, se placent certes aussi dans une logique commerciale mais en y ajoutant une plus-value culturelle qui fait (toute) la différence. L'éditeur travaille le livre avec l'auteur et offre une information ainsi qu'une promotion du livre, parfois un pari sur le futur qui consiste à investir éventuellement à perte sur un auteur à l'avenir duquel on croit. Le libraire assure la visibilité du livre, propose une information, prodigue des conseils aux lecteurs. Le journaliste pose un regard critique. Le bibliothécaire assure l'accompagnement des lecteurs dans les multiples questions qu'ils se posent...bien, bien, ainsi le bateau de la plus-value coulera moins vite. Couler? L'invasion du numérique, de l'e-book, a porté un fameux coup à l'adorable livre papier parfois parfumé dont on tourne les pages avec émotion et délice une fois en apnée avec l'oeuvre, son contenu souvent aussi riche que la faune et la flore marines réunies. Qu'ajoute à cela? Evolution, progrès, entend-on tous azimuts mais l'est-ce réellement?
Réfléchissons-y posément mais sérieusement... Nos yeux, par exemple, ne vont-ils pas un jour rétrécir au point de nous rendre inaptes à ouvrir un bel ouvrage littéraire parfumé? Les écrans sont partout: sur le téléphone portable, le smartphone, l'i-pod, la tablette, l'ordinateur, et n'oublions pas l'écran télé et l'écran ciné. Accro? On le devient aisément...et la littérature en fin de compte? Revenons-en donc à nos "mots-ons": préserver la chaîne éditeur-libraire-journaliste-bibliothécaire, avec la plus-value culturelle que celle-ci garantit (même si des adaptations dans la chaîne seraient souhaitables), est un gage du maintien de la variété éditoriale, de la diversité créative aussi. Souvenons-nous en lorsque nous serons tentés, par facilité, de commander des livres chez un cybercommerçant douteux au lieu de privilégier ceux qui font réellement vivre le livre et...le saviez-vous? Les gros lecteurs achetant leurs livres sur la toile n'y découvrent qu'environ 7% de ces livres! Pour 93% de ces ouvrages de qualité, ce sont les libraires physiques, les journalistes, le service promotionel de l'éditeur et les bibliothécaires qui les ont informés, mais ce travail-là a malheureusement un coût. Il ne se brade pas. Tout d'un coup un Coelho apparaît dans une caisse à la brocante de quartier? Foncez! Plongez! Des noms d'auteurs de qualité? Vous en voulez? Aucun ne sera cité ici, ce serait faire de l'ombre à tous les autres. Imaginez que je vous cite Eric-Emmanuel Schmitt, je rejeterais Amélie Nothomb dans l'obscurité... Et qu'est-ce qui fait le succès d'un livre ou d'un auteur au final? Trop d'éléments entrent ici en jeu, pas toujours des meilleurs... Se retrouver répertorié sur Amazon.fr ou Chapitre.com par exemple? Très bien mais ce n'est qu'une porte ou une fenêtre qui s'entrouvre. Et les réseaux sociaux? Utiles essentiellement pour être suivi. A bon entendeur...