La fille de Brooklyn, de Guillaume Musso, par Thierry-Marie Delaunois chroniqueur
La fille de Brooklyn, de Guillaume Musso, par Thierry-Marie Delaunois chroniqueur
"Abasourdi, j'ai scruté l'écran en plissant les yeux jusqu'à ce qu'un haut-le-coeur me retourne l'estomac et m'oblige à me détourner. Un frisson a irradié tout mon corps. Mes mains tremblaient, le sang pulsait dans mes tempes. Je m'attendais à tout. Je croyais avoir tout anticipé. Mais je n'avais jamais pensé à ça. Je me suis mis debout sur mes jambes en coton. Pris de vertiges, j'ai vacillé..." Qu'est-ce qui vient de déstabiliser autant Raphaël notre héros? Anna, la femme de sa vie, lui a posé cette question quelques secondes plus tôt "Si j'avais commis le pire, m'aimerais-tu malgré tout?", son fiancé lui ayant tout naturellement répondu "Je suis capable de tout entendre..."; elle lui a alors dévoilé une photo d'une main tremblante en lui déclarant: "C'est moi qui ai fait ça!". Quoi? Qu'a donc fait Anna pour désarçonner autant l'homme qu'elle aime? Serait-elle l'auteur d'une atrocité?
Treizième roman - si le compte est bon... - d'un Musso apparemment survolté, cold case intriguant et captivant qui suit "L'instant présent" du même auteur, "La fille de Brooklyn" se révèle être un ouvrage complexe et quelque peu déroutant que, d'après Marc Fernandez de Metronews, l'on ne parvient finalement pas à lâcher avant de savoir qui est réellement cette fille, nuits blanches en perspective... Doit-on du coup s'étonner si Musso est l'un des auteurs français les plus lus au monde également traduit dans près de quarante langues?
Anna disparaissant de manière fort mystérieuse, Raphaël Barthélémy, écrivain, part aussitôt à sa recherche, aidé par son ami et ex-flic Marc Caradec qui lui aussi n'hésite point à s'investir dans cette folle mission: retrouver à tout prix la disparue! Mais les choses ne sont en fait pas aussi simples qu'il n'y paraît, "quelque peu déroutant" disions-nous plus haut, car les pistes se multiplient, beaucoup de personnages surgissent, des portes s'ouvrant de toutes parts, et Anna semble elle-même avoir un bien lourd secret ainsi qu'un sérieux poids sur la conscience...
"La fille de Brooklyn", un bon cru également bien ficelé? L'oeuvre est bien structurée, construite; on y passe élégamment d'une voix à l'autre, le "je" étant de mise pour Raphaël et on évite heureusement la dispersion, Guilaume se rattrapant parfois juste à temps, psychologie et sensibilité faisant malgré tout excellent ménage, les motivations des personnages profondes et crédibles; quant à l'écriture, nous reconnaissons aisément la plume alerte de l'auteur, un phrasé printanier et ensoleillé qui nous plaît...
L'originalité de cette "fille"? Notre héros malgré lui trimbale dans son sillage son jeune fils Théo - "Assis sur sa chaise haute, mon fils m'arracha des mains la cuillère en plastique pour terminer lui-même..." - qui lui en fait voir des vertes et des peu mûres mais pas question bien sûr d'abandonner le rejeton en d'autres mains et une Nounou, cela se trouve! Mais pourquoi de tels vertiges? "...j'ai vacillé, mais je me suis fait violence pour sortir du salon d'une démarche ferme. Mon sac de voyage était resté dans le hall d'entrée.(...) Sidération. Chair de poule. Reflux acides dans l'estomac. Gouttes de sueur qui troublaient ma vision. J'ai claqué la porte du cabriolet et..." Et? Colère et amertume d'une part, incompréhension et sensation que la vie s'écroule d'autre part, Raphaël n'en mène pas large. Qui est en fait son Anna? Une criminelle en fuite? Et pourquoi "de Brooklyn" alors qu'on évolue ici au coeur de la France profonde? Musso fait en tout cas preuve d'une belle érudition, des exergues et citations émaillant notre suspense, et l'on se délecte de certaines anecdotes bien curieuses liées à l'enquête scientifique qui se déroule sous nos yeux. A qui donc profite le crime? Est-ce toujours cette même question-clé qu'il faut se poser? Projetons-nous sans attendre dans le futur à Antibes le mercredi 31 août 2016, date à laquelle le rêve vire soudain au cauchemar pour Raphaël et Anna... "La fille de Brooklyn", un être insaisissable? Recherchons la ensemble même s'il nous faut pour cela prendre un aller simple pour New-York, ville que Guillaume semble singulièrement affectionner... Bon voyage en première classe!