Quand sort la recluse, de Fred Vargas, par Thierry-Marie Delaunois
Quand sort la recluse, de Fred Vargas, par Thierry-Marie Delaunois
"Cela faisait dix-huit jours que le lieutenant observait son araignée. "Loxosceles rufescens". Ce matin, il avait consulté les principaux journaux locaux du Languedoc-Roussillon, et de nouveau parcouru plusieurs forums de discussion sur le sujet. On y débattait avec acharnement de cette araignée recluse. (...) Six morsures d'araignées recluses, non mortelles, avaient réussi à semer la panique jusque dans certains hebdomadaires nationaux. Tout cela parce qu'une rumeur, venue d'on ne sait où, soufflait son vent mauvais: l'araignée recluse brune de l'Amérique du Nord avait-elle fait son apparition en France?" Jusqu'à ce que la petite araignée en question fasse soudain trois victimes. Trois vieillards. Cela ne regardait-il en fin de compte que les médecins, les épidémiologistes et les zoologues? Pour le commissaire Jean-Baptiste Adamsberg, personnage-fétiche de Fred Vargas, qui voit en fait très bien dans les brumes, ces trois hommes ont indubitablement été assassinés!
Assassinés? Ni plus ni moins? Dix-neuvième roman de Fred Vargas - de son vrai nom Frédérique Audoin-Rouzeau - archéozoologue, médiéviste et auteure née en 1957 lue et appréciée notamment pour la qualité de ses intrigues, auteure entre autre de "Temps glaciaires", "Quand sort la recluse" aurait très bien pu être titré "Arachnophobie" ou "Arachnofolie" tant nous voyageons ici au coeur d'une véritable toile soigneusement tissée par l'écrivaine autour de cette araignée pourtant très peureuse et non agressive qui vit dans son trou, d'où un risque fort limité de rencontre avec l'être humain.
Quel point commun Adamsberg pourrait-il trouver entre Albert Barral, 84 ans, Fernand Claveyrole, également 84 ans, et Claude Landrieu, 83 ans, à part leur proximité d'âge? C'est à une véritable énigme que s'attaque bientôt Adamsberg, ceci en dehors de tout sentier battu, sa hiérarchie ignorant ses investigations, toute la brigade plus que sceptique quant au bien-fondé de l'enquête, Danglard, son fidèle et obstiné adjoint, ne le suivant pas sur ce coup-là. Réellement seul dans ses brumes, le commissaire? Des brumes en fait apaisantes ou inquiétantes?
Menant plusieurs affaires de front, dont une relativement délicate qui concerne le lieutenant Froissy manifestement menacée par un pervers potentiel, Adamsberg, que les lecteurs de Vargas connaissent à présent bien - le petit écran aussi par l'adaptation de certains de ses ouvrages -, s'interroge: comment une telle dose de venin de recluse a-t-elle pu se retrouver dans le corps des victimes? Aurait-il ici affaire à une araignée mutante?
Le commissaire met finalement peu de temps à plonger coeur et âme dans cette toile, malgré tout suivi par trois de ses adjoints les plus efficaces: Veyrenc, Retancourt et Froissy, mais c'est sans compter avec les fausses pistes, les impasses, les étocs... Lâcher prise? Abandonner? Non car à sa manière l'araignée l'a mordu, le commissaire étant également aidé par la vieille Irène Royer-Ramier, personnalité volubile, attachante et fantasque, à laquelle il n'a pourtant au départ rien demandé. Une aubaine!
Une brique, cette oeuvre de F.Vargas? Elle fait certes 478 pages mais l'on suit sans difficulté nos enquêteurs dans les méandres de la toile qui n'arrête pourtant pas de leur donner du fil à retordre, les victimes de la recluse s'accumulant au fil - encore un! - de récit. Complot? Vengeance? Une idée apparemment absurde: "On l'estimait dangereuse. Où était-elle, et en quel nombre? Un vacarme assez ahurissant jusqu'à ce qu'une véritable spécialiste s'en mêle - s'emmêle? - pour y mettre un terme sans appel: non, l'araignée américaine n'avait pas posé patte en France. Une de ses cousines en revanche y avait toujours habité, dans le sud-est du pays, et n'était pas mortelle... Mais cette fois-ci, la recluse avait bel et bien tué..." Tué?
D'une belle densité psychologique et d'une charpente solide, "Quand sort la recluse" nous parle également de ces femmes recluses, phénomène loin d'être rare au Moyen-âge mais il semblerait bien qu'il s'agisse ici de cette "Loxosceles rufescens" dont le venin n'est en théorie point mortel, ne provoquant que d'infimes dégâts corporels... Mais si sont touchés des enfants qui ont à peine atteint l'adolescence, qu'en est-il? N'y a-t-il pas un véritable risque de traumatisme accompagné d'irréversibles séquelles autant psychologiques que physiques? A vous de le découvrir, Vargas et sa recluse vous attendent à présent afin de dénouer et même de défaire complètement cette toile digne d'Internet. Bonne chance, camarade-lecteur/lectrice!