L’innocence des bourreaux, de Barbara Abel, par Thierry-Marie Delaunois
L’innocence des bourreaux, de Barbara Abel, par Thierry-Marie Delaunois
"Exploiter la force organique que son corps anémié trouve encore le moyen de produire. D’un geste mécanique, Jo vérifie la position de sa cagoule sur sa tête, cale ses lunettes sur son nez et s’empare de son flingue. Puis, à grands pas survoltés, il rejoint la porte du magasin. L’ouvre à pleine volée. Bondit à l’intérieur du bâtiment..." Aline : chirurgienne ; Germaine Dethy : personne âgée en chaise roulante ; Michèle, son aide-soignante ; Léa, jeune mère célibataire ; Guillaume : caissier de la supérette ; Thomas : comptable dans une entreprise ; Sophie, sa jeune maîtresse... Qui de tout ce petit monde parviendra à sortir indemne du braquage qui hélas finit par mal tourner ?
"Une tension psychologique qui grimpe jusqu'à son paroxysme, c’est notre quotidien qui devient glaçant ", le point de vue de LIRE sur "L’innocence des bourreaux ", roman poignant en forme de huis clos de Barbara Abel qui développe ici une histoire tendue, rondement menée, incluant son lot de surprises. Quand surgit brutalement, en plein drame, Théo, le fils d’Aline, ado en perpétuel conflit avec sa mère, celui-ci ne tarde pas à perdre son sang-froid face au junkie. Non, il n’est pas ici dans son jeu vidéo favori mais en pleine réalité. Toute crue. Et entre victimes et bourreaux la frontière devient subitement fort mince. Si mince...
Ils n’en mènent pas large, les clients de l’établissement que le braqueur force à se coucher sur le sol, la caractérielle Germaine incluse, qui ne manque pas de déverser son fiel face à un junkie survolté alors que celui-ci ne vise que la caisse. Les sous pour pouvoir se payer ses doses. Manifestement inspirée, Barbara Abel, en véritable dramaturge, nous entraîne tambour battant dans les pas de gens normaux, sans histoire ou presque ; nous les suivons haletants, nous demandant comment tout cela va finir, Abel ne ménageant aucun de ses personnages : "Un instant de stupeur. Une seconde suspendue au bout d’un doute. Le temps se fige, et avec lui le cœur, le souffle, les mots. La vie. Comme une pellicule qui se déchire au beau milieu du film. Stoppé net, en plein élan..." Le silence puis la panique, totale, aveugle, s’en suivent. L’aide-soignante s’écroule la première, sa bouche s’asséchant, le cœur hésitant entre le plein régime et l’arrêt total...
L’horreur est-il au rendez-vous ? Dans la supérette, la tension est à son comble et le braqueur, la menace au bout du bras, vise d’abord l’aide-soignante et sa patiente, ensuite le caissier pétrifié, statue de pierre incapable du moindre geste. Les sous ou la vie ? Seule Barbara Abel, auteur de "Derrière la haine " qui a été porté à l’écran, le sait... Quant au lecteur, il ne pourra que plonger dans un crescendo fort bien ficelé. "L’Innocence des bourreaux "? Ouvrage paru chez Belfond en 2015, il ne peut que marquer les mémoires pour un sacré bout de temps.